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26 mai 2009

Poésie immobilière (ne soyons pas naïfs)

En montant vers le causse, à l’écart du village, il y a une petite maison qu’on aime beaucoup, Lars et moi. On se disait en plaisantant que ce serait la maison de nos rêves, dans une vie parallèle. Celle qu’il nous faudrait. Je n’ai jamais vu l’intérieur, bien sûr, mais je connais bien le jardin  (j’aime beaucoup roder dans les jardins des maisons vides ; j’aime beaucoup rôder dans les jardins tout court, d’ailleurs ; disons que c’est mon côté poète). Il y a un ancien verger, quelques pots abritant des cactus étiques, et juste derrière la maison, dans la pente, l’un des plus beaux chênes des environs, où habite un troupeau de geais. Au-dessus, un bois de petits chênes et de genévriers qui continuent jusque sur le causse et où vivent des sangliers, des chevreuils, et un petit renard que j’allais observer cet automne.
Qu’on ne s’affole pas : je ne suis pas poète au point de penser que sous prétexte que j’aime les geais, les chênes et les renards, j’ai des droits sur la propriété. Mais voilà l’histoire, donc.
Cet hiver, nous avons vu que la maison était à vendre. On s’est dit qu’on allait se renseigner sur le prix, juste pour rêver un moment. On n’a pas rêvé longtemps : 330 000 euros. 330 000 euros, qui peut faire ça ? 330 000 euros pour une maison, quand on y pense sérieusement, qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? Qui peut disposer de cette somme ? Pas nous, évidemment, et pas vous non plus, j’en suis quasi sûr.
Hier, pendant que je redescendais du causse, la grosse voiture noire d’un agent immobilier s’est arrêtée sur l’herbe devant la maison. Ils étaient trois, l’agent immobilier et un couple d’un certain âge, vêtus des mêmes chemises en coton claires, avec les mêmes lunettes de soleil hors de pris, les mêmes pulls en laine pendant sur leurs épaules, les mêmes visages blafards, comme blanchis à la poudre, considérant du même air méfiant le sentier et les bois aux alentours. Ils venaient se procurer une résidence secondaire. L’agent immobilier expliquait avec son accent nordiste la poésie des lieux, et il s’en sortait bien mal ; du bout des lèvres, le couple émettait des réticences dans un accent hésitant. Qu’on me comprenne : je me fous qu’ils viennent de Londres ou de Paris, (ou d’Alger, tiens, pourquoi ne viendraient-ils pas d’Alger, de Durban ou de Port-au-Prince, pour une fois ?) – je me fous d’où ils viennent, du moment qu’ils restent, du moment qu’ils vivent ici, un mois, un an, mais pour de vrai. Je voudrais que cette maison soit habitée par des vrais gens, des gens qui aient des animaux, des chats, des chiens, des poules (pour mon renard), des enfants même, s’il le faut, des gens qui s’occupent eux-mêmes de leur jardin, au lieu de le faire « tondre » par des jardiniers absents (ah, et ne m’emmerdez pas avec les emplois ruraux, pitié, si vous n’avez rien d’autre à proposer que des boulots de domestiques). Ici les résidences secondaires sont occupées moins d’un mois par an, visages renfrognés sur les transats et bermudas à carreaux toisant les villageois avec méfiance.
Quel triste sadique a fait en sorte que la maison du causse ne puisse appartenir qu’à quelqu’un d’assez riche pour ne jamais y habiter ? Personne, je sais, ne soyons pas naïf. Mais si nous n’étions vraiment pas naïfs, il faudrait peut-être trouver quelque chose pour remédier à ça.

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